lundi 29 mars 2010

Rock & Roll Années 00 : interview Gillian Welch


Interrogée suite aux résultats de notre Top 100, Gillian Welch répond aux questions de Marc Zisman sur la genèse de Time (The Revelator).


Dans votre discographie, ce troisième album était aussi le premier à être produit par David Rawlings. Pourquoi n'aviez-vous pas continué à travailler avec T Bone Burnett ?

En fait, on avait commencé à travailler avec lui, mais l'ambiance s'était rapidement détériorée. On avait même failli se battre, un soir. Ensuite, on est resté longtemps sans pouvoir se parler… En même temps, je pense aussi que, de toute façon, il était écrit que ce disque devait être produit par David. Pour moi, cet album est toujours associé à un incroyable sentiment d'autosuffisance. Et je crois qu'il fallait vraiment qu'on le fasse nous-même.

Qu’aviez-vous à l’esprit pour ce troisième album ? Il semble plus brut et plus épuré que Hell Among The Yearlings, son prédécesseur. Est-ce que vous vous sentiez attirés par le concept de “less is more” ?

Oui, et c’est aussi lié à l'idée d’autosuffisance dont je parlais précédemment. A l’époque, j’avais un peu l'impression que nous vivions dans un monde parallèle. Il y avait Dave, moi et Matt, notre ingénieur du son… Je ne me levais jamais avant le coucher du soleil et je ne me sentais plus vraiment en phase avec le monde réel. De plus, Nashville ne fonctionne pas 24 heures sur 24. C’est une ville qui se couche tôt et où tout ferme à 22h. Et je me souviens que, souvent, nous passions le soir dans ces quartiers résidentiels déserts, cherchant désespérément un peu d'animation. Nous avions vraiment l'impression d'être complètement à l'ouest. Nous avions même envisagé de déménager... Personnellement, je me sentais de plus en plus détachée de ce qui nous arrivait. Et je pense que ce sentiment d'abandon, de relâchement, se retrouve dans cet album.

La plupart des chansons laissent l'impression de compos rock qui auraient été ralenties et jouées en acoustique. Qu'en pensez-vous ?

Notre intention était vraiment d'aller au plus simple… Par exemple, nous pensions beaucoup à la rigueur de la peinture Sumi-e (technique chinoise de dessin à l’encre portée à sa perfection par les moines bouddhistes Zen au 14ème siècle, NdlR). Avec une seule ligne, vous pouvez ainsi faire émerger toute une chaîne de montagnes, et même davantage. Nous cherchions vraiment à atteindre cette amplitude panoramique dans notre musique. Il est d'ailleurs intéressant de noter que plus vous réduisez vos moyens d'expression et plus l'horizon de vos possibilités tend à s'élargir.

Ce qui est intéressant avec Time (The Revelator), c'est que tout en étant très ancré dans une tradition qui remonte à la Carter Family il sonne aussi vraiment comme un album de 2001. Etait-ce important pour vous que le disque reste ainsi relié au présent ?

Oui, je pense qu'une œuvre d'art ne peut pas être vraiment accomplie si elle ne s'inscrit pas, d'une façon ou d'une autre, dans son époque. Qu'elle soit ou non tournée vers le passé importe peu… En tout cas, je pense de plus en plus que tout se joue dans la captation de l'instant présent. C'est là que se trouve l'impression de vérité qui nous permet, par exemple, d'être profondément émus par des œuvres très anciennes. Et si l'émotion est là…

Il est aussi intéressant de voir que même si vous êtes fan de Lefty Frizell, Bill Monroe ou Ralph Stanley, vous n’utilisez pas vraiment leurs armes, qu'il s'agisse de la pedal steel ou du fiddle…

Vous savez, ce sont des armes qui me plaisent beaucoup ! En même temps, je n'ai pas forcément envie de les brandir. Ceci dit, l'explication est plus simple… Il s'agit d'un problème technique. Comme ma voix se trouve facilement recouverte par les instruments, nous essayons toujours de réduite autant que possible les orchestrations de nos enregistrements en studio. Bizarrement, seules les cordes ne couvrent jamais ma voix.

D’où est venue l’idée d’intégrer cette version de “I Want To Sing That Rock and Roll”, enregistrée live au Ryman Auditorium ?

C’était l’une des premières fois où nous avons joué cette chanson. On avait essayé de l’enregistrer en studio à plusieurs reprises, mais on n’avait jamais réussi à la jouer aussi bien que sur scène. On a donc utilisé la version live enregistrée avec un simple micro Neumann U47. Le micro était dément, l’acoustique de la salle également… Alors, pourquoi pas ? Et puis, il y a ce passage amusant où le public applaudit le solo de Dave. L'ambiance est si intime à cet instant et, subitement, vous réalisez que vous n'êtes pas seul. D'un coup, c'est tout un monde qui fait irruption. C'est sympathique…

Le titre de l'album était un hommage à la chanson “John The Revelator” de Blind Willie Johnson ?

Oui, bien sûr ! Je connaissais cette chanson de Blind Willie et c'est même grâce à elle que le mot “revelator” m’est venu à l’esprit.

Avec cet album vous avez lancé votre propre label, Acony Records ? Pourquoi ce besoin ?

Eh bien, disons que c'est un peu toujours la même idée d'autosuffisance. Jerry Moss et Herb Alpert, ceux qui m’avaient signé à l'origine, avaient pris leur retraite. Ces mecs étaient de la vieille école. Ils voyageaient en jet privé, venaient à nos concerts dans leur grand manteau de cachemire, passaient nous prendre en limousine et parlaient de nous comme leur “numéro folk”. J’adorais ces types ! Surtout Jerry que je vois encore de temps en temps. Finalement, lorsqu’ils ont pris leur retraite, le label a été vendu, puis intégré dans une énorme société. Or je ne voulais pas faire partie de ce système démesuré. J'étais persuadée de me faire entuber et qu'à un moment ou à un autre, j'allais me retrouver coincée par un contrat, avec des disques introuvables, etc. Du coup, j'ai décidé de monter mon propre label, comme Sam Phillips l'avait fait, à l'origine, avec Sun Records ! Je voulais surtout rester aussi éloignée que possible des salades habituelles de l'industrie du disque.

Quelle est l’origine de ce trip fou et beau qu’est “I Dream A Highway” ? Ces quatorze minutes sont-elles sorties, comme ça, en plein enregistrement, ou bien est-ce que vous en aviez déjà l'idée en franchissant la porte du studio ?

Oh la, c’est une longue histoire ! Pour moi, cette chanson est un peu à l'image de la fabrication de ce disque. Tout a commencé par une petite mélodie que Dave m'avait jouée, un jour, comme ça. Ensuite, j'ai écrit le texte du refrain, puis je me suis lancée dans une forme d’écriture libre. Un truc en prose. Plus tard, Dave s’est plongé dans toutes ces pages d’écriture et a remis un peu d'ordre dans cette prose. Et c'est comme ça qu'est né “I Dream A Highway”. Une fois le morceau terminé, nous avons commencé à redouter les réactions des gens. Nous étions persuadés que certains allaient détester la chanson… Du coup, nous avons ajouté “Everything Is Free”. Pour nous, ce titre était un peu là pour offrir une fausse fin au disque. Comme ça, ceux qui détestaient “I Dream A Highway” pouvaient s'arrêter là, sans avoir à se taper le final de quatorze minutes. Personnellement, cette chanson ne m'a jamais dérangée ou semblée trop longue…

Comment des mots de Taj Mahal (“they caught the katy and left me a mule to ride”) se sont-ils retrouvés sur “Revelator” ?

Oh, c'était juste un petit passage folk qui traînait dans un coin de ma tête… En fait, ces quelques mots viennent d’un titre de Yank Rachell. Près de Minneapolis, j'ai croisé pas mal de musiciens qui connaissaient Yank ou qui avaient joué avec lui. Si vous vous baladez du côté de Bloomington ou de Brown County, vous entendrez cette chanson tout le temps.

L’album a été enregistré dans le fameux Studio B de RCA à Nashville, un lieu mythique où Elvis, les Everly Brothers et des tonnes d'autres géants sont passés. L’atmosphère avait-elle quelque chose de particulier ?

Oui, extrêmement. Mais il faudrait une interview entière pour en parler…

Huit ans après sa sortie, quel regard portez-vous sur Time (The Revelator) ? Quelle valeur donnez-vous à ces dix chansons ?

Vous savez, sur les dix chansons de l'album, il y en a sept que nous jouons presque à chaque concert ! Personnellement, j’aimerais juste pouvoir ajouter “I Dream A Highway”, à chaque fois. Malheureusement, elle est tellement longue qu'on ne l'a finalement jouée qu'à trois reprises. Et, chaque fois, ça a été un moment mémorable, inconfortable et sauvage. Je suis vraiment fière de ce disque… Lorsqu’il a été fini, nous étions exténués. Nous y avions mis tellement de nous-mêmes que nous étions presque devenus fous. J’ai pleuré d’épuisement à de nombreuses reprises en le faisant… Mais, pour revenir à votre question, je dirais que les deux premiers albums contenaient des chansons d'une valeur sensiblement égale. Ce qui a fait la différence, c'était, à mon avis, que celles de Time (The Revelator) étaient en parfaite connexion avec leur temps. D'ailleurs, c'est même plutôt cocasse, quand on pense à quel point nous étions déconnectés du monde en faisant ce disque. Avec cet album, tout aura été une question d'urgence. Nous n'avions pas d'alternative : soit nous “nagions”, soit nous “coulions” pour de bon ! J'ai vraiment essayé d'exprimer mes troubles, ma tristesse et le sentiment d'être perdue dans ce monde… Et je pense que cette honnêteté, cette façon d'exprimer ses sentiments sans détour et avec une grande précision est vraiment ce que l'on peut offrir de mieux à l'humanité. C'est, en tout cas, ce que les artistes doivent essayer d'offrir au plus grand nombre.

A la même époque, vous et Dave Rawlings avez aussi participé à l'enregistrement de Heartbreaker de Ryan Adams. Quel souvenir en gardez-vous de ce disque ?

Mmm, disons que ça aura été assez débridé. Assez fou, même... Vous savez, Ryan est quelqu'un d'assez capricieux en studio. Même s'il est aussi vrai que ça va avec sa personnalité… Je pense qu'à cette époque Nashville était ce qu'il fallait pour Ryan. Et j'ai été heureuse de faire partie de cette aventure. Je regrette juste que la ville soit si vite devenue trop petite pour lui…

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